vendredi 27 février 2015

Alexandre de Rieux 1620-1695, les évènements liés à la Toison d'Or de Corneille, et à la pastorale Pomone de Perrin et ses démêlés familiaux et judiciaires

Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac, d'Ouessant, baron de Neufbourg, né vers 1620, est l'un des sept enfants de Guy de Rieux (1597-1640) et de Louise de Vieuxpont (1597-1646). Son grand-père est René de Rieux, seigneur de Sourdéac, marquis d'Ouessant (1548-1628) marié à Suzanne de Saint-Melaine, dame de Bourg l'Evesque ( -1616).

Alexandre de Rieux, se marie le 10 avril 1641 (il est âgé d'une vingtaine d'années) à Hélène de Clère (1620-1703), fille de Louis de Clère et de Louise des Courtils.

Alexandre et Hélène auront six enfants : Paul Hercule 1645-1709 non marié. Ses titres passeront à son cousin Jean-Sèvère de Rieux de la branche d'Assérac. Louise, religieuse, dame chanoinesse à Remiremont, morte après 1686, qui deviendra propriétaire d'Ouessant vers 1701, par suite de l'abandon que lui fera de ses droits René-Louis, son frère. Anne Hélène dame chanoinesse à Remiremont, morte après 1686, René Louis, comte de Rieux marié à Elisabeth de Nivelle, mort sans enfant en février 1713. Henri, officier dans le régiment des gardes, 1658-4/12/1693. Charlotte, évoquée au même titre que ses sœurs Louise et Hélène, dans une requête des créanciers contre leur père Alexandre en 1687.

Peu d'informations sur les années entre 1640 et 1650.
On sait qu'il achète le 17 septembre 1645, le fief de La Gacilly en Cournon à Jean du Houx et Charles de la Bourdonnais pour 11.000 livres.

Vers 1650, les terres de Sourdéac lui échoient, et à la même époque il est dit : posséder l'hôtel Sourdéac, rue Garancière à Paris.

Il est réputé pour être assez adroit et “serrurier à ses heures“ au point d'être un inventeur de “machines“ pour des spectacles.

Par ailleurs, il est décrit comme étant un personnage original. Tallemand des réaux a dit de lui : “Il se fait courir par ses paysans comme on court un cerf et dit que c'est pour faire exercice“. Il n'y a pas de meilleur serrurier au monde, ajoute également Tallemand, il travaille de la main admirablement. Il travaillait si bien que, de serrurier et de mécanicien, il devint machiniste et entrepreneur de spectacles. Il fit construire dans son hôtel à Paris, une salle de spectacle où il représentait gratis les œuvres de Corneille.

Vers 1645, le cardinal Mazarin, introduit l'Opéra à Paris et fit représenter au Petit Bourbon devant le roi Louis XIV et la reine-mère Anne d'Autriche, une pièce italienne avec décors et machines de Torelli, intitulée “La festa teatrale de la finta Pazza" de Strozzi. La nouveauté étant dans les changements de scène jusqu'à présents inconnus en France.
“On y était impressionné par les décors, s'émerveillant que dedans le même temps nous voions mille lieux, des ports, des ponts, des tours, des jardins spacieux, et dans le messe lieu, des scènes différentes“ selon certains commentateurs.
Torelli représenta le Pont Neuf, avec la statue de henri IV, l'entrée de la place dauphine avec les tours de Notre-Dame et la Sainte-Chapelle dans le lointain.
La “Finta Pazza“ tait une comédie lyrique, un opéra bouffon, une parade musicale, un mélodrame où le noble se mêlait au comique, et dont les intermèdes présentaient un ballet de singes et d'ours, une danse d'autruches, une entrée de perroquet.
Cette représentation de 1645, a été en quelque sorte un prélude, à celles qui apparaîtront dans les années suivantes et qui seront précurseurs de ce qu'on appellera l'Opera français.

Alexandre de Rieux du fait qu'il demeure à Paris dans son hôtel de la rue Garancière, du fait de sa position au sein de la noblesse, n'a pas pu ne pas être informé de cette première représentation de 1645, d'autant que sensible à l'aspect décor et machinerie de ces représentations, il a dû vouloir mettre son talent de serrurier et s'exercer à construire ces fameuses machineries.
Page en préambule de la Tragédie “La Toison d'Or“ de Corneille représentée par la troupe royale du marais,
chez M. le marquis de Sourdeac, en son chanteau de neufbourg
En gris : les familles régnantes, et ministres
en bleu : les Rieux de Sourdéac
en jaune : librettistes, comédiens et musiciens
D'ailleurs, en 1660, on voit Alexandre de Rieux commander à Pierre Corneille,  “la Toison d'Or“, une tragédie en cinq actes*, pour célébrer le mariage de Louis XIV, qui sera d'abord joué au château de Neufbourg en Normandie, puis le 19 février 1661, au Marais à Paris par la Troupe Royale du Marais, avec toutes les machines et décorations. La magnificence de ce spectacle frappa la Cour et la ville et ce fut un grand succès. On souhaita reconduire ce succès dès lors qu'il réunissait en lui seul tous les genres et tous les charmes des autres théâtres. On y chante, on y danse, on y joue de la musique. Et une “machinerie“, c'est-à-dire une mise en scène, est créée pour valoriser et époustoufler par ses magnificences, tous les spectateurs.
* il y travaille depuis 1656 
(http://www.memoire.celestins-lyon.org/var/ezwebin_site/storage/original/application/f652ac1963b1ab7c5b15a9d6d55e4736.pdf)


En jaune : emplacement du Jeu de Paume du Marais, rue Vieille du temple
En jaune : emplacement du Jeu de Paume du Marais, rue Vieille du temple
plan de Paris de 1676 de Jouvin
En jaune : emplacement du Jeu de Paume du Marais, rue Vieille du Temple
plan de Paris en 1713 de Jaillot
En jaune, emplacement où se situait le Jeu de paume du marais, rue Vieille du temple
plan de Paris 1739 de Turgot

Les vrais créateurs de l'Opéra français
“Depuis longtemps, il est convenu que Quinault et Lully sont, l'un pour les paroles, l'autre pour la musique, les créateurs de l'Opéra en France, qu'eux seuls ont droit à ce titre. Rien n'est pourtant plus contraire à la vérité, et ce n'est assurément pas diminuer la valeur de ces deux grands artistes, ce n'est pas outrager leur génie, ce n'est pas amoindrir le rôle qu'ils ont joué, que de leur enlever cet honneur pour le reporter à ceux qui le méritent réellement et qui y ont un droit incontestable. Je veux parler de Perrin et Cambert.“
Voici ce qu'écrit en 1881, Arthur Pougin dans son livre “Les vrais créateurs de l'Opéra français“. Il le présente comme un travail de restitution et de réhabilitation artistique.

Perrin et Cambert seront associés à Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac, et à Antoine de Bersac de Camperon lorsqu'ils loueront ensemble un bail pour la salle du jeu de Paume de la Bouteille, rue Mazarine, le 8 octobre 1670, faisant suite au privilège que Pierre perrin recevra de Louis XIV par lettres patentes qui l'autorisait à établir non pas, une académie royale de musique à Paris (ce titre est celui qui figure dans le privilège accordé plus tard à Lully), mais des Académies d’Opéra, non seulement à Paris, mais dans toutes les villes où il lui plairait de le faire... Le privilège ainsi concédé à Perrin avait une durée de douze années*. 
*(texte des Lettres patentes du Roy, pour establir, par tout le royaume, des Académies d’Opéra, ou représentations en musique en langue françoise, sur le pied de celles d’Italie - S. Germain en Laye le 28e jour de juin 1669, et de notre règne le vingt-septième.)

L'Opéra existait déjà en Italie et en Allemagne. Mais, on ne croyait ne pouvoir l'acclimater en France car la représentation de “la Finta Pazza“ en 1645, ne produisit pas un enchantement général : le spectacle est long, déclamé, dépourvu de chant.
Un autre Opéra italien intitulé “Orfeo de Euridice“ fut joué en 1647. Une Mazarinade évoque cette représentation :
 “Ce beau, mais malheureux Orphée,
Ou, pour mieux parler, ce morphée,
Puisque tout le monde y dormit...“

Cela n'emballe pas les foules. Cependant, le luxe du spectacle excita une véritable admiration. Par la suite, on sollicita Corneille afin qu'il écrivit une “pièce à machine“, dans la nature des pièces italiennes. Il conçut son Andromède“, tragédie qui fut représentée en février 1650 dans la salle du petit-Bourbon(situé face à St-Germain l'Auxerrois). Le sieur Torelli*, machiniste du roi, travailla aux machines d'Andromède. Mais Andromède n'était pas un Opéra : c'était une pièce à machines, contenant seulement un certain nombre de morceaux de chant mis en musique par d'Assoucy, à l'imitation des pièces italiennes, et écrite en vers français.
* Torelli avait inventé la manœuvre à l'aide de laquelle on change toute une pièce en un clin d'œil. Cette invention lui valut un grand renom et des rivaux acharnés.
Cela n'était pas encore l'Opéra, mais cela y acheminait, y conduisait petit à petit. À cette époque, les ballets de cour, ont préparé et précédé l'Opéra. Ils déployaient toutes les ressources de l'art, de manière à captiver à la fois l'oreille, l'esprit et les yeux. La richesse et la variété des décorations s'y unissait à la poésie, à la musique et à la danse pour enchanter les spectateurs. Mais il restait un préjugé : les paroles françaises n'étaient pas susceptibles des mêmes mouvements et des mêmes ornements que les paroles italiennes.
Perrin, avec l'aide de Cambert,  et sans s'inquiéter des critiques, sera celui qui comprendra que l'Opéra français est chose possible. Il osera en utilisant le français, ce que personne n'avait présumée possible de la langue française.

Pierre Perrin
Connu à l'époque sous le nom de l'abbé Perrin, était né à Lyon cers 1619. Il vient à Paris et porte le petit collet. Abbé plus de cour que de fait. S'il n'est pas certain que Perrin ait été abbé, il paraît assuré du moins qu'il se maria vers 1645.
Cette femme s'appelait Grison et était veuve d'un nommé La Barroire. Une de ses voisines également veuve, d'un peintre flamand nommé Vanmol, héberge un garçon appelé Perrin et qui, à ce moment là, avait traduit en vers français l'Enéide de Virgile. La veuve la Barroire, quoiqu'elle eût déjà soixante et un ans, s'éprit de ce bel esprit. Elle l'espousa en cachette. Le mariage ne profita guère à Perrin puisque peu de temps après, cette femme mourut sans qu'il puisse en tirer quelque bénéfice que ce soit. Il cherchait sans doute ce qu'on appelle un établissement, et pensait avoir trouvé sa belle avec la veuve La Barroire. 
À peu près à la même Gaston d'Orléans (frère de Louis XIII), charge qu'occupait Voiture et dont il se rendit acquéreur moyennant la somme de 11000 livres. Somme assez considérable et qu’il ne dut pouvoir se procurer qu’à l’aide d’un emprunt. 
*(Vincent Voiture né à Amiens en 1594, diplomate et poète mondain, lettré, introducteur des Ambassadeurs depuis 1628, auprès de la cour de Gaston d'Orléans, son bienfaiteur, frère du roi Louis XIII, qui est une sorte de mécène. En 1644, Gaston d'Orléans réside au palais de Luxembourg)

Perrin devint en quelque sorte, par ce fait, un protégé de Gaston d’Orléans. Ce prince, intelligent et bien doué, et qui ne se fit guère remarquer que par ses mœurs dissolues et son hostilité contre Richelieu, réunissait autour de lui une cour brillante où de jeunes gentilshommes trouvaient une école de plaisir et de dépravation. L’une de ses passions prédominantes était celle du théâtre et de tous les divertissements qui s’y rattachent, passion d’ailleurs générale à cette époque et qui était celle de la Cour Royale elle-même, lorsque que le souverain était l’être morose et taciturne qui avait nom Louis XIII.
Lors du premier séjour à Paris de Molière comme comédien, en 1644, Gaston d’Orléans s’était constitué le protecteur effectif de la troupe de l’Illustre Théâtre ; de plus, qu’il ne se piquait pas personnellement de jouer la comédie, il prenait une part importante aux divertissements qu’il produisait dans son palais du Luxembourg, il dansait et chantait dans les ballets comiques et souvent licencieux que lui fournissaient, sur ses indications, ses poètes et ses musiciens, de même que Louis XIII, son frère, et plus tard Louis XIV, son neveu, dansaient et chantaient dans ceux dont l’Estoile et Colletet, Maynard et Gombaud, Bordier et Benserade, Molière lui-même leur traçaient les canevas, et dont Moulinié, Guedron, Boësset, Mollier et Lully écrivaient la musique. 
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin)

Perrin que son inclination personnelle portait vers le théâtre, dut sentir ce goût s’accroître encore dans un tel milieu. Il n’est pas douteux que l’idée d’écrire un opéra français, alors qu’on n’avait pas encore représenté en France que des opéras italiens et que l’on traitait ce projet de chimère et de folie, ne lui soit venue à la vue des nombreux ballets mêlés de chants que l’on dansait alors non seulement à la cour, non seulement chez Gaston, mais chez la plupart des grands personnages, dans les hôtels et les châteaux des plus grandes dames et des plus grands seigneurs : le ministre Colbert, le chancelier Séguier, le gouverneur de paris maréchal de l’Hospital, le grand maître de l’artillerie La Meilleraye, le prince de Condé, le duc de Gramont, M. et Mme de Guénégaud, les duchesses de Montbazon, d’Aiguillon, de Chevreuse, de Rohan, de Choisy, de Châtillon, les marquises de Bonnelle, de Gouville, etc., etc.
Toutefois il réfléchit longtemps avant de mettre son projet à exécution, et non seulement s’y prépara, mais y voulut préparer de longue main les musiciens en leur donnant à mettre en musique des vers d’un tour particulier, d’un sentiment jusqu’alors inusité, de formes nouvelles et irrégulières, propres à briser leur inspiration à certaines difficultés pratiques et rythmiques, à leur faire exprimer des sensations nouvelles, et à les mettre enfin, peu à peu, en état d’aborder ce qu’il appelait le genre lyrique, c’est-à-dire le genre dramatique proprement dit.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.32)


… Vivant au milieu d’une cour acharnée au plaisir, d’une société vraiment affolée de théâtre, à une époque ou la musique était en quelque sorte la déesse régnante et servait de passe-temps universel, il apportait une idée qui touchait  à la fois à la musique et au théâtre, et qui, bien que l’on contestât la possibilité de sa mise en pratique, semblait fatalement appelée à réussir. Ayant beaucoup vu et beaucoup comparé sous ce rapport, étant allé s’instruire spécialement en Italie, familier du moins avec la langue de ce pays, n’étant pas ignorant des choses de la musique et les connaissant d’autant mieux qu’il fréquentait beaucoup les musiciens, il réfléchit mûrement à cette idée, la creusa de toutes façons, s’entoura évidemment de conseils intelligents, et sut mettre toutes les chances de son côté au jour du grand combat. Avec tout cela habile en intrigues, adroit, souple, avisé, ingénieux, difficile à rebuter, tout justement honnête, peu enclin au scrupule, madré à dire d’experts, enfin protégé par les grands, cet être singulier,qui devait trouver dans sa situation à la cour de Gaston d’Orléans des facilités particulières et qui, après la mort de ce prince, parut devenir un instant le favori de Mazarin, auquel il dédia son recueil de poésies, réunissait toutes les qualités nécessaires au rôle qu’il voulait jouer, et joignait à ces qualités l’énergie, la persistance et la force de volonté qui savent venir à bout de toutes les difficultés et triompher de tous les obstacles.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.36)

28 juin 1669, lettres patentes d'octroi de Privilège 
de créer des Académies d'opéra par Louis XIV à Perrin

28 juin 1669
Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France & de Navarre, à tous ceux qui ces présentes Lettres verront. Salut.


Notre amé et féal Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, et Introducteur des Ambassadeurs près la Personne de feu notre très-cher et bien amé Oncle le duc d'Orléans, Nous a très-humblement fait remontrer, que depuis quelques années les Italiens ont établi diverses Académies, dans lesquelles il se fait des Représentations en Musique, qu'on nomme Opera : Que ces Académies étant composées des plus excellens Musiciens du Pape, et autres Princes, même de personnes d'honnêtes familles, nobles, et Gentilshommes de naissance, très-sçavans é expérimentés en l'Art de la Musique qui y vont chanter, font à présent les plus beaux Spectacles et les plus agréables divertissemens, non-seulement des Villes de Romes, Venise et autres Cours d'Italie, mais encore ceux des Villes et Cours d'Allemagne et d'Angleterre, où lesdites Académies ont été pareillement établies à l'imitation des Italiens ; que ceux qui font les frais nécessaires pour lesdites Représentations, se remboursent de leurs avances sur ce qui se reprende du Public à la porte des lieux où elles se font ; et enfin que s'il nous plaisoit de lui accorder la permission d'établir dans notre Royaume de pareilles Académies pour y faire chanter en public de pareils Opera, ou Représentations en Musique et langue Françoise, il espère que non-seulement ces choses contribueroient à notre divertissement et à celui du Public, mais encore que nos sujets s'accoutumant au goût de la Musique se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l'un des plus nobles des Arts libéraux.

À ces causes, désirant contribuer à l'avancement des Arts dans notre Royaume, et traiter favorablement ledit Exposant, tant en considération des services qu'il a rendu à feu notre très-cher et bien-amé Oncle, que de ceux qu'il nous rend depuis quelques années en la composition des paroles de Musique qui se chantent, tant en notre Chapelle qu'en notre Chambre ; Nous avons, audit Perrin, accordé et octroyé, accordons et octroyons par ces Présentes, signées de notre main, la permission d'établir en notre bonne ville de Paris et autres de notre Royaume, une Académie, composée de tel nombre et qualité de personnes qu'il avisera, pour y représenter et chanter en Public des Opera et Représentations en Musique et en vers François, pareilles et semblables à celles d'Italie : et pour dédommager l'Exposant des grands frais qu'il conviendra faire pour lesdistes Représentations, tant pour les Théâtres, Machines, Décorations, Habits qu'autres choses nécessaires, Nous lui permettons de prendre du Public telles sommes qu'il avisera, et à cette fin d'établir des Gardes et autres gens nécessaires à la porte des lieux où se feront lesdistes Représentations : Faisant très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes, de quelque qualité et conditions qu'elles soient, même aux Officiers de notre Maison, d'y entrer sans payer et de faire chanter de pareils Opera, ou Représentations en Musique et en vers François dans toute l'étendue de notre Royaume, pendant douze années, sans le consentement et permission dudit Exposant, à peine de dix mille livres d'amende, confiscation des Théâtres, Machines et Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l'Hôpital Général, et l'autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits Opera et  Représentations sont des Ouvrages de Musique tous différens des Comédies recitées, et que nous les érigeons par cesdites Présentes, sur le pied de celles des Académies d'Italie, où les Gentilshommes chantent sans déroger : Voulons et Nous plaît, que tous les Gentilshommes, Damoiselles, et autres personnes puissent chanter audit Opera, sans que pour ce ils dérogent au titre de Noblesse, ni à leurs Priviléges, Charges, Droits et Immunités, révoquant par ces Présentes toutes Permissions et Priviléges que Nous pourrions avoir ci-devant donnés et accordés, tant pour raison dudit Opera que pour réciter des Comédies en Musique, sous quelque nom, qualité, condition et prétexte que ce puisse être.

Si Donnons en Mandement à nos amés et féaux Conseillers les Gens tenans notre Cour de Parlement à Paris, et autres nos Justiciers et Officiers qu'il appartiendra, que ces Présentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer ; et du contenu en icelles, faire jouir et user ledit Exposant pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchemens au contraire : Car tel est notre plaisir.

Donné à Saint Germain-en-Laye, le vingt-huitième jour de Juin, l'an de grâce mil six cens soixante-neuf, et de notre Règne le vingt-septième. 


Signé, LOUIS, et sur le replis, par le Roy, COLBERT.

Robert Cambert
Fils d’un fourbisseur, dit Fétis (biographie universelle des musiciens), naquit à Paris vers 1628. Après avoir reçu des leçons de clavecin de Chambonnières, le plus célèbre maître de son temps,il obtint la place d’organiste de l’église collégiale de saint-Honoré, et quelque temps après fut nommé surintendant de la musique de la reine Anne d’Autriche, mère de Louis XIV.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.39)

C’est à peu près dans le même temps (vers 1660) que le fameux marquis de Sourdéac, à la fois grand seigneur fastueux et mécanicien d’une étonnante habileté, fit représenter dans son château de Neufbourg, en Normandie, une “pièce à machines“ mêlée de chant, qu’il avait expressément commandée à Corneille, et qui obtint ensuite à Paris une vogue extraordinaire. Comme nous le verrons par la suite que ce personnage se trouva mêlé de près à l’entreprise de Perrin et de Cambert, quelques renseignements sur lui ne seront pas inutiles, et Tallémant des réaux va nous les fournir, en nous parlant d’abord de son père et de sa mère.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.83)

Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac
… Feu M. de Sourdéac (Guy de Rieux, sieur de Sourdéac, mort en 1640, marié en 1617 à Louise de Vieuxpont, morte en 1646), nous dit cet écrivain, de la maison de Rieux en Bretagne, et sa femme, se mirent dans la teste d’estre à la Reyne-mère dans la décadence de sa fortune, luy pour estre d’intrigue, et elle pour avoir le plaisir d’entrer dans le carrosse d’une reine ; cependant ils dépensaient gros et la suivirent à Brusselles. Leur bien fut saisy ici. La Reine-mère s’ennuyait d’eux à un point estrange. Cela les fit résoudre à s’accommoder et à revenir avec Monsieur (Gaston d'Orléans). Le cardinal restablit leur filz (Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac) dans leurs biens. Ce filz a espousé depuis une des deux héritières de Neufbourg, en Normandie, où il demeure ; c’est un original. Il se fait courre par ses païsans, comme on court un cerf, et dit que c’est pour faire exercice ; il a de l’inclination aux méchaniques ; il travaille de la main admirablement : il n’y a pas un meilleur serrurier au monde. Il luy a pris une fantaisie de faire jouer chez luy une comédie en musique, et pour cela il a fait faire une salle qui lut couste au moins dix mille escus. Tout ce qu’il faut pour le théâtre et pour les sièges et les galeries, s’il ne tavailloit luy-mesme, lut reviendroit, dit-on, à plus de deux fois autant : il avoit pour cela fait faire une pièce par Corneille ; elle s’appelle “Les Amours de Médée“ ; mais ils n’ont pu convenir de prix. C’est un homme riche et qui n’a point d’enfants ; hors cela, il est assez œchonome.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.83)

Tallemand écrivait ces lignes en 1658 ou 1659 ; mais le marquis machiniste et le poète se rapprochèrent bientôt, et ce rapprochement facilita la représentation des Amours de Médée, devenus la Toison d’Or. Les auteurs de l’Histoire de l’Académie royale de musique disent à ce sujet : - “M. le marquis de Sourdéac fit en 1660 représenter dans son château de Neufbourg en Normandie, une pièce de machines intitulée la Toison d’Or, que composa M. Corneille l’aîné. M. de Sourdéac prit le temps du mariage de S. M. Louis XIV pour faire une réjouissance publique de la représentation de cette pièce, et outre tous ceux qui étaient nécessaires pour l’exécution de ce dessein, qui furent entretenus plus de deux mois à Neufbourg à ses dépens, il traita et logea dans son château plus de cinq cents gentilshommes de la province, pendant plusieurs représentations que la troupe du Marais y donna de cet ouvrage. Ce n’était partout que tables servies avec une abondance et une propreté admirables. Ce fut au retour de cette fête donnée au château de Neufbourg que le marquis de Sourdéac commença de former à Paris un opéra, pour y exercer son profond savoir dans l’art mécanique(1)
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.86-87)

(1) Sourdéac avait fait venir chez lui la troupe du théâtre du Marais pour jouer la Toison d’Or. “Depuis (dit l’auteur de la Notice sur Quinault placée en tête de le première édition complète de ses œuvres, publiée en 1715), il voulut bien en gratifier la troupe du marais, où le roi, suivi de toute la cour, vint voir cette pièce“
La machinerie théâtrale était une passion chez Sourdéac, et son habileté en ce genre ne connaissait point de rivale. Ce fut lui qui, l’année suivante, fut chargée de toute la partie mécanique du fameux opéra de Cavalli, Ercole amante (Hercule amoureux), dont il est parlé plus loin, et qui fut représenté aux Tuileries devant le roi. Voici ce qu’on lit, au sujet de cet ouvrage, au mot ballet de l’Encyclopédie des gens du monde : - “Lorsque le mariage de Louis XIV avec l’infante d’Espagne fut invariablement fixé, le cardinal Mazarin fit venir, pour la troisième fois, les talents les plus distingués de l’Italie, et, attendu l’exiguïté de nos théâtres, il fit construire au château des Tuileries le magnifique théâtre des machines, alors le plus vaste et le plus beau d’Europe. On y donna, en 1662, le Ercole amante. Louis XIV, la reine, le duc d’Orléans,le prince de Condé, les dames et les seigneurs de la cour y dansèrent. Cet opéra offrit ce que le goût et la somptuosité ont de plus recherché : décorations superbes et machines les plus étonnantes y furent prodiguées. On y vit des palais entiers qui descendaient du ciel, supportés par des nuages, et dans lesquels cent personnes étaient groupées de différentes manières. Cette même machine remontait vers le ciel et était remplacée par un autre palais qui, en sortant de terre, s’élevait graduellement vers le cintre. La richesse des vêtements, la beauté des voix, l’exécution précise et brillante de deux cents musiciens, offrirent un spectacle digne de la circonstance pour laquelle il avait été composé. Le marquis de Sourdéac qui, dès son enfance, s’était adonné avec passion à la mécanique, et avait acquis un très rare talent dans cet art, imagina ces merveilleuses machines, présida à leur confection, et en surveilla lui-même les mouvements“

...Une toison d’Or gardée par des taureaux qui jettent des flammes, et par un grand dragon ; ces taureaux attachés à une charrue de diamant, les dents du dragon qui font naître des hommes armés, toutes ces imaginations ne ressemblent guère à la vraie tragédie, qui, après tout, doit être la peinture fidèle des mœurs.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.88)


...Ce qui surprit le plus dans la représentation de la Toison d’Or, ce fut la nouveauté des machines et des décorations, auxquelles on n’était point accoutumé.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.89)

...Cependant, à force d’instances, de démarches, de prières, de sollicitations, Perrin finit par en arriver à ses fins, et dans les derniers jours de juin 1669, c’est-à-dire dix ans après la représentation de la Pastorale, il recevait du roi l’octroi de lettres patentes qui l’autorisaient à établir non point, comme on l’a dit à tort, une académie royale de musique à Paris (ce titre est celui qui figure dans le privilège accordé plus tard à Lully), mais des académies d’opéra, non seulement à Paris, mais dans toutes les villes où il lui plairait de le faire.. Le privilège ainsi concédé à Perrin avait une durée de douze années. 
(texte des Lettres patentes du Roy, pour establir, par tout le royaume, des Académies d’Opéra, ou représentations en musique en langue françoise, sur le pied de celles d’Italie - S. Germain en Laye le 28e jour de juin 1669, et de notre règne le vingt-septième.)
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.96)

Le premier soin de Perrin fut de constituer une association pour l’exploitation régulière de son entreprise naissante. Quels furent les termes et conditions du contrat intervenu entre lui et ceux qu’il adjoignit à cet effet ? C’est ce qu’il serait, je crois, singulièrement difficile de connaître aujourd’hui. On sait du moins quel fut le nombre de ses associés, et qui ils étaient. Perrin disent tous les contemporains, ne pouvaient subvenir seul aux soins et à la dépense qu’exigeait un tel établissement ; il s’associa donc avec Cambert, qui devait composer la musique, avec le marquis de Sourdéac, chargé du soin des machines et des décorations, enfin avec un nommé Bersac de Champeron, homme de finance, appelé à fournir les fonds nécessaires à l’entreprise.
Cet accord une fois conclu, et comme on ne voulait pas perdre de temps, les associés s’occupèrent tout à la fois du recrutement de leur personnel et de la construction d’une salle. Beauchamps, maître des ballets du Roi, fut engagé comme chef de la danse, et un nommé La Grille, chanteur qui paraissait dans les intermèdes lyriques de la Comédie Française, devint en quelque sorte le régisseur général de la future troupe et fut chargé de faire un grand voyage d’exploration dans le midi de la France, pour y recueillir, dans les maîtrises, les plus belles voix qu’il pourrait rencontrer, auxquelles Cambert devait adjoindre les plus habiles chanteurs qu’il trouverait à Paris même.
Tandis que La Grille* partait pour le Languedoc, afin d’accomplir sa mission, on s’occupait à Paris de trouver un emplacement pour l’édification du nouveau théâtre. Le choix s’arrêta sur un terrain connu sous le nom de Jeu de paume de la Bouteille, situé dans les rues de Seine et des Fossés-de-Nesle, vis-à-vis de la rue Guénégaud, et c’est là que Guichard, intendant des bâtiments du duc d’Orléans, fut chargé de construire la salle de l’Académie des Opéras.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.106)

* dans la notice de Quinault est cité un autre personnage appelé Monier : “Le marquis de Sourdéac… envoya le nommé Monier en Languedoc, qui fit venir à Paris Clédière (haute-contre), Beaumavielle (basse-taille), Miracle (taille), Tholet (haute-contre) et Rossignol (basse-taille), qui étoient les plus belles voix de la province“

La Salle : « Elle était située en face de la rue Guénégaud sur l’emplacement de la maison qui porte actuellement le n° 42 rue Mazarine et le n° 43 rue de Seine… Perrin s’associa avec le marquis de Sourdéac, qui passait pour l’un des hommes les plus habiles de son temps dans l’art d’imaginer et de construire les machines théâtrales. Un sieur de Bersac de Champeron fut le bailleur de fonds de l’entreprise ; c’est lui et le marquis de Sourdéac qui, à la date du 8 octobre 1670, par-devant Me Raveneau, notaire, passèrent bail avec M. de Laffemas*, et louèrent pour cinq ans, moyennant 2400 livres de loyer, le Jeu de paume de la Bouteille, où devait s’élever la première salle d’opéra**.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.108)

* Il s’agit de Maximilien de Laffemas, écuyer, sieur de Soyecourt, agissant au nom des héritiers d’Isaac de Laffemas.
** V. aux pièces complémentaires et justificatives le texte du bail passé, pour la location du Jeu de paume de la Bouteille, entre la famille Laffemas d’une part, et, de l’autre, Sourdéac et Champeron.

Principaux lieux où se situent les Hôtels, Palais et Salles de Jeu de paume où les troupes de théâtre ont données leurs représentations

1 - Jeu de Paume de la bouteille, entre les rues de Seine et mazarine (anciennement rue des Fossés de Nesle). Loué le 8/10/1670 par Sourdéa. Le 1er Opéra de Perrin et Cambert : Pomone, y sera représenté le 16/03/1671. La salle sera fermé le 30/03/1672, sur requête de Lully.

2 - Jeu de Paume de Bel Air (ou Becquet) n° 13 rue Vaugirard. La salle sera louée le 12.12.1669 par Sourdéac. Elle servira à Perrin en 1670. Elle sera utilisée par La troupe de Lully le 12/08/1672 jusqu'en 1673.
Date à laquelle il ira rejoindre la salle du palais Royal à la mort de Molière qui l'a occupée de 1662 à 1673.

3 - le Palais Royal. Richelieu y fit élever un théâtre sur l'aile est du bâtiment. Inaugurée en 1641. La troupe de Molière et les Italiens se partagent le scène entre 1662 et 1673. En 1652, Louis XIV cède la Palais Royal à son frère Philippe d'Orléans.
À la mort de Molière le 17 février 1673, Lully récupère les lieux pour y fonder son Opéra. La troupe de Molière s'installe alors dans l'Hôtel Guénégaud. Lully, quelques semaines avant sa mort, fait alors l'objet de disgrâce par son royal bienfaiteur le roi Louis XIV et fut prié de quitter le Palais Royal en 1685.

4 - Hôtel de Bourgogne, dans le quartier des halles, héberge depuis 1598, la Troupe des Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, une des premières troupes des Comédiens ordinaires du roi.En 1634, elle est concurrencée par la Troupe du théâtre du marais. En 1642, le roi ordonne de transférer 6 comédiens de cette troupe pour renforcer la Troupe des Grands Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne.
En 1680, un édit de Louis XIV ordonne la fusion de la troupe de l'hôtel de Bourgogne avec celle du théâtre de Guénégaud, laquelle résultait de la réunion en 1673 des comédiens du théâtre du marais avec la troupe de l'Illustre théâtre de Molière. C'est ainsi qu'est fondée une troupe unique et permanente : la Comédie-Française, sise à l'Hôtel Guénégaud.

5 - Hôtel du Petit Bourbon. Construit face au Louvre. 

En décembre 1645, “La Finta Pazza“ premier opéra alliant musique et ballets, précurseur de l'Opéra Français,y est représentée. 
En 1650, “Andromède“ de Pierre Corneille y est représenté. 
En 1658, Le roi accorde à Molière et à sa troupe la salle du Petit Bourbon.
Molière y joua en alternance avec la Troupe Italienne de Scaramoucheà partir de 1658. 
Le 24 octobre 1658, spectacle donné devant le roi dans la salle des Gardes du Vieux Louvre. 
Arrangement conclu avec la troupe Italienne pour le partage du théâtre du Petit-Bourbon. 
Le 16 mai 1659, “l'Étourdi“ est donné au petit-Bourbon.
En octobre 1660, le théâtre du Petit Bourbon est démoli afin de permettre la construction de la colonnade du Louvre. La Troupe n'ayant pas été prévenu, se retrouve sans salle. Après requête auprès du roi Louis XIV, ce dernier les gratifie alors alors de la salle du Palais Royal, et ordonne à M. de Ratabon intendant des bâtiments du roi de les réinstaller au Palais Royal.

Le palais Royal rouvrit le 20 janvier 1661.
La Troupe devint le 14 août 1665 “Troupe dru Roi au Palais Royal“

6 - Hôtel de Nevers

7 - Hôtel de Guénégaud

8 - Hôtel de Sourdéac, 8, rue Garancière VIe. Construit en 1646 pour René de Rieux, évêque de Léon. À sa mort en 1651, l'hôtel passe à son neveu, Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac. Celui-ci, en fera abandon ainsi que d'autres biens pour solder les dettescontractées auprès de nombreux créanciers. L'hôtel fut vendu après 1687 à Pierre de Pâris, conseiller au Parlement, et à sa sœur, la présidente Dugué.

9 - Palais de Luxembourg, de Gaston d'Orléans (oncle de Louis XIV)


10 - Jeu de paume du Marais, rue Vieille du temple

Salle du Jeu de Paume de la Bouteille
située entre les rue Mazarine (anciennement rue des Fossés de Nesle) et rue de Seine au faubourg Saint-Germain.
Le 8 octobre 1670, Sourdéac et Champeron associés à Perrin et Cambert, la louent pour 5 ans
pour y installer l'Académie d'Opéra
Cette salle sera fermée le 30 mars 1672 par ordonnance, signée Colbert, à la suite d'une requête de Lully qui voulait entraver par tous les moyens le succès de Perrin et Cambert.

Cette salle deviendra également le refuge de la troupe de Molière lorsque, à la mort de celui-ci le 16 février 1673,
 Lully, devenu directeur de l'Opéra, trouva le moyen de faire évincer de celle du palais-Royal, pour s'en emparer.
Jeu de Paume de la Bouteille
Jeu de Paume de la Bouteille (plan de Jacques Gomboust de 1652)
Situé entre la rue des Fossés et la rue de Seine.
L'Hôtel Guénégaud est situé à proximité
Jeu de Paume de la bouteille entre la rue Mazarine et la rue de Seine. La salle était mitoyenne du passage du Pont Neuf
Bail pour la construction de la salle de l’Opéra 

Passé le 8 octobre 1670, pour la location du Jeu de paume de la Bouteille, sur lequel Sourdéac et Champeron allaient faire construire la première salle de l’Opéra français.

“Par devant les notaires gardenottes du Roy au Chastelet de Paris soussignez, fut présent Maximilien de Laffemas, escuyer, sr de Séroncourt, conseiller et maistre d’hostele ordinaire du Roy, demeurant à Paris, rue de Chaulme, paroisse Saint-Jean en Grève, tant en son nom que comme se faisant et portant fort de Messieurs et dames ses cohéritiers dans la succession du deffunt Mr Isaac de Laffemas, leur père, vivant conseiller du Roy en ses conseils, doyen de Messieurs les magisters des requestes ordinaires de l'hostel du Roy… lequel, ès dits noms, a reconnu et confessé avoir baillé et délaissé par ces présentes, à tiltre de loyer et prix d’argent, du premier jour du présent mois d’octobre jusques et pour cinq ans prochains… à hault et puissant seigneur Messire Alexandre de Rieux, chevalier, seigneur marquis de Sourdéac et autres terres, et à Laurent de Bersacq de Fondant, escuyer, seigneur de Champeron, demeurant à Paris, sçavoir ledit seigneur marquis de Sourdéac en son hostel, au faubourg Saint-Germain, rue Garancière, et ledit sr de Champeron, rue des Fossez de Nesle, paroisse Saint-Sulpice, à ce présents et acceptans, prenans et retenans pour eux au dict tiltre, durant le dict temps, c’est assavoir le jeu de paume où est pour enseigne la Bouteille, seize rue des Fossez de Nesle, ayant sortie par la rue de Seine, ledict jeu de paulme clos de murs, couvert de tuille, garni de ses auges, au pourtour de charpenterie, gallérie dans ledict jeu d’un costé couverte d’ais, les murs d’appui de pierre de taille avec de petites colonnes de charpenterie qui portent le couvert de laditte gallerie, iceluy jeu de paulme pavé de pierres de Can ; deux cours au costé du dict jeu et deux corps de logis ayant fasse sur la dicte rue, apliquez au rez de chaussée, à salles à cheminée, allée de passage et cuisine, escurie ou apentis, plusieurs estages au nombre de trois, chambres à cheminées et grenier au dessus, monté dans œuvre, leurs aisances, appartenances et dépendances ; les dicts lieux ainsy qu’ils s’estendent poursuivent et comportent, sans en rien excepter, retenir ni réserver, avec partie de la place du chantier du cossé de la rue de Seyne, occupé par Me Levasseur, magister charon à Paris, à prendre quatre toises et un pied du devant du mur du dict jeu de paulme cy devant déclaré, jusques au dehors du mur que les dicts sieurs preneurs pourront faire faire, à leurs despens, pour séparer le dict chantier d’avec la dicte place ; lequel mur sera faict en l'estendue du dict chantier et de pareille construction en espoisseur que ceux du dict jeu, jusques à la hauteur des autres murs du dict jeu, ainsy qu’ils sont à présent ; au dessus duquel mur les dicts sieurs preneurs pourront faire faire telle eslévation que bon leur semblera, soit de maçonnerie que de charpenterie, pour porter la charpente et couverture du comble qu’ils désirent faire, le tout à leurs frais et despens ; et pourront aussy les dictz sieurs preneurs eslever télé quantité de travées du dict jeu de paulme que bon leur semblera pour leur commodité, en faisant par eux servir les bois qui se trouveront bons et en mettant de neufs au deffault, mesme en faisant par eux faire la couverture et fournissant le fer qu’il conviendra, et sans estre par le dict sieur bailleur, ès dictz noms, tenu de faire mettre aucun bois en ce qui se trouveroit pourry ou rompu en l’endroit où ils feront les dictes eslévations, pour la construction d’un Théastre qu’ils entendent faire faire du costé du dict chantier, pour les représentations en musique nommées opéra, en conséquence de la permission et privilèges qu’ils en ont obtenus par les lettres patentes de Sa Majesté, sous le nom du sieur Perrin, le vingt huit juin mil six cent soixante neuf; pour lesquelles représentations les dicta sieurs preneurs feront faire à leurs despens, dans les dicta lieux, telles loges, amphithéâtre et autres accommodements que bon leur semblera, en restablissant par eux les dégradations qui se trouveront faites aux dicta murs, lorsqu’ils sortiront des dicta lieux… Ce présent bail faict moyennant deux mil quatre cent livres de loyer pour et par chacune des dictes cinq années… Payeront les dicta sieurs preneurs preneurs les deniers à quoy les dictz lieux baillez sont et pourront estre, durant le dict temps, taxés et cottizées pour les fortiffications de cette dicte ville et faulxbourgs de Paris, pauvres, boues, chandelles, lanternes, et autres charges de ville et police. Faict et passé à paris, en la maison du dict sieur de Sérocourt sus déclarée, l’an mil six cent soixante dix, le huitième jour d’octobre, avant midy ; et ont signé la minute des présentes, demeurée vers Raveneau, qui a délivré ces présentes pour coppie collationnée sur la dite minute, ce jour d'huy vingt cinq juin mil six cent quatre vingt sept, pour servir aux dicta sieurs de Champeron et de Sourdéac.
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La Tour de Nesle et l'enceinte de Paris. Le faubourg Saint-Germain des Prés

Cette salle fut construite en cinq mois par Guichard, intendant des bâtiments du duc d’Orléans. Elle conservait la forme allongée du jeu de paume dans lequel on l’avait édifiée. Des poteaux montant du fond, soutenaient et séparaient les loges. Le public, suivant l’usage d’alors, était debout au parterre ; quelques lustres, pendus au plafond, éclairaient la salle. Quand à la scène, elle était grande pour l’époque, profonde et parfaitement disposée pour le jeu des machines, qui, dès l’origine de l’Opéra, constituèrent un des attraits du spectacle. Au dernier acte de Pomone, dix-huit follets paraissaient portés sur des nuées. Beaucoup d’apothéoses de féeries modernes ne suspendent pas dans les airs un personnel plus nombreux.

Henri Guichard est gentilhomme ordinaire de Monsieur (Philippe d’Orléans), et Sablières est intendant de sa musique. C’est Monsieur, qui leur a commandé en 1671 un Opéra en musique. Sablières (jean Grenouilhet, écuyer, sieur de Sablières) est le musicien et Guichard l’organisateur.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.109)

Lully
…“Lulli, qui était pour lors surintendant de la musique du Roi, voyant avec chagrin que Cambert allait s’acquérir beaucoup de réputation par la musique de ses opéras, s’avisa pour les faire tomber de lui débaucher Morel et Gillet, les deux plus belles voix qu’il eût pour lors, sous prétexte de les donner au roi (vie de Philippe Quinault). Je crois bien qu’il lui enleva aussi La Grille (machiniste), sur lequel comptait Cambert, car je vois que, dans les intermèdes de Psyché, dont il avait écrit la musique et qui avait été faite par Molière, Corneille et Quinault pour être représentée devant le roi, Morel et La Grille étaient chargés de chanter des parties importantes.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.111)


Le 18 ou 19 mars 1671, eut lieu l’inauguration de l’Académie de musique. Le privilège de Perrin étant daté du 28 juin 1669, les associés, on le voit, mirent environ vint mois et demi à préparer leur entreprise et à la mettre en état. En somme, ils ne perdirent pas leur temps, puisque tout était à faire et à créer : pièce, musique, théâtre, personnel chantant et dansant, chœurs, orchestre, administration - et le reste.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.116)

pendant que se construisait la salle du Jeu de paume, les répétitions de Pomone se firent à l’hôtel de Nevers, mis à la disposition de Perrin*
* on exerça la nouvelle troupe à l’hôtel de Nevers, occupé depuis 1724 par la Bibliothèque impériale. Le palais que bâtit le cardinal Mazarin se déployait sur tout l’espace entouré par les rues de Richelieu, des Filles-saint-Thomas, Vivienne et neuve-des-Petits-Champs. En 1661, après la mort du cardinal-ministre, on divisa cet immense édifice et ses dépendances en deux lots : celui qui touchait aux rues Neuve-des-Petits-Champs et Vivienne échut au duc de La Meilleraye et porta le nom d’hôtel Mazarin ; l’autre lot devint la propriété du marquis de mancini, qui lui donna le nom d’hôtel de Nevers. La rue Colbert fut construite alors sur une partie du jardin. En 1670, le marquis de Mancini prêta la galerie (galerie des imprimés) de son hôtel à Perrin
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.121)

18 ou 19 mars 1671, 
première représentation de “Pomone“, 
opéra pastorale de Perrin

personnages de Pomone, opéra, pastorale composée par Perrin

Pomone, déesse des fruits
Flore, sœur de Pomone, déesse des fleurs
Vertune, dieu des lares ou follets, amoureux de Pomone
Faune ou Fat, dieu des villageois, amoureux de Pomone
Le Dieu des Jardins, amoureux de Pomone
Juturne, Venilie, nymphes de Pomone
Beroé, nourisse de Pomone
Chœur de Jardiniers

La scène se passe en Albanie, au Pays Latin, dans la maison de Pomone.
Le livret dresse ainsi la liste “des décorations ou changement de théâtre“
La veuë de paris à l’endroit du Louvre (prologue)
Vergers de Pomone (1er acte)
Parc de chesnes (2e acte)
Rochers et verdures (3e acte)
Palais de Pluton (3e acte)
Jardin et berceau de Pomone (4e acte)
Palais de Vertune (5e acte)

Les Machines de Sourdéac

À propos des machines
“On pourra se faire une idée de l’habileté de Sourdéac et de l’importance qu’il avait à donner à la partie féerique de Pomone, par ce passage d’un pamphlet qui parut en 1711, la Musique du diable ou le “Mercure galant“. La scène se passait aux enfers, et l’on y parlait de Sourdéac : “Je le connois particulièrement, répond Pluton ; c’est lui qui, raffinant sur tous les ouvrages de hauban, de Cœhorne, et de tous les plus habiles ingénieurs du monde, m’a apporté ici le secret de faire fondre, comme vous voiez souvent, sous mes pieds, particulièrement lorsque je mange, les tables qui sont sur le plancher de mes salles, toutes couvertes qu’elles soient, et d’en faire descendre d’autres qui les remplacent au même instant d’une telle dextérité, que moi-même, qui n’y mets jamais la main, suis à tout moment surpris comment il le peut faire sans magie“
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.128)

Mais le merveilleux, ainsi recréé, avait parfois des ratés. Pour preuve ces quelques vers moqueurs rapportés par La Fontaine :

Quand j'entends le sifflet, je ne trouve jamais
Le changement si prompt que je me le promets :
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste,
Un dieu pend à la corde et crie au machiniste ;
Un reste de forêt reste dans la mer,
Ou la moitié du ciel au milieu de l'enfer.

ce dessin de l'atelier de jean Perain, illustre bien le parti-pris utilisé par les "machinistes“ pour créer les décors d'une pièce.Ici, en fond de scène, est représentée une construction en arcades et on aperçoit en fond de scène, un décor peint évoquant les jardins
Dessin de l'atelier de jean Perain
Même principe de décor en arcade pour le fond de scène mais plus végétal
En latéral des cintres peints représentant des arbres
Dessin de l'atelier de jean Perain
Représentation des “nuées“ sur lesquelles “flottent“ des personnages qui par les mécanismes des “machines“, des “cordes“ apparaîtront ou disparaîtront en fonction du décor des scènes du prologue et des différents actes.
“Vénus descend dans une grande machine de nuages, au travers de laquelle on découvre son palais“

Pour simuler le vent,
on découpait des planchettes de noyer ou d'autres bois durs assez souples. Les machinistes attachaient ces planchettes à leur main au moyen d'une cordelette. Lorsque cela était nécessaire, il les tournaient à la manière d'un ventilateur en direction des comédiens et du décor.

Pour les éclairs,
on 
coupait en deux une planche de bois en forme d'éclair, sur laquelle on fixait la toile de fond. Derrière la fissure fermée, était disposée une autre planche recouverte de clinquants d'or, illuminée par plusieurs chandelles. Au moment de l'orage, un homme secouait le côté mobile de la planche en bas qui fera apparaître l'éclair. 
Cadmus & Hermione : “
Des traits enflammés perçant l'épaisseur des nuages et fondent sur le Serpent Python qui après s'être débattu quelques temps en l'air, tombe enfin tout embrasé dans son marais bourbeux. Une pluie de feu se répand sur toute la scène et contraint l'Envie de s'abîmer avec les quatre Vents souterrains, tandis que les Vents de l'air s'envolent. Dans le même instant les nuages se dissipent et le théâtre devient entièrement éclairé.“Pour le tonnerre,On posait au dessus du ciel un canal fait de planches ordinaires. Pour reproduire le son de l'orage, un homme prendra 2 ou 3 boulets de fer ou de pierre de 15 kg environ, et les fera rouler dans le canal incliné. Atys : « Les regrets des divinités des bois et des eaux, et les cris des Corybanthes, sont secondés et terminés par des tremblements de terre, par des éclairs, et par des éclats de tonnerre.Pour simuler les flammes,On fixait des toiles imbibées d'eau de vie sur les façades des maisons du décor puis les enflammait.Pour simuler “l'enfer“,Des personnes dignes de confiance tenaient des pots garnis de poix, recouverts d'un papier parsemé de trous. Au centre du pot, était plantée une grande torche. Lors de l'apparition de l'enfer, les machinistes, placés dans les dessous du théâtre, sous la trappe, secouaient au dessus de leur tête les torches enflammées en prenant gare à ne pas brûler des comédiens ou danseurs.
Pour simuler un monstre marin qui crache des gerbes d'eau
Un machiniste soufflait dans un cornet rempli de paillettes argentées
exemple de machine pour Phaëton
Phaëton tombait de son char foudroyé par Jupiter. Lorsque le machiniste lâchait la corde rattachée à un treuil.

Machine pour baisser ou intensifier la lumière des bougies. Pour obscurcir la scène, on abaissait sur les chandelles des cylindres de fer étamé.
Les fils remontant en place, la scène s'illuminait. La scène restait malgré tout assez sombre dans son ensemble et l'ensemble du dispositif dégageait une fumée peu agréable.
(dessin Sabattini)
Derrière chaque châssis étaient dissimulées des chandelles munies de réflecteurs qui éclairaient le décor. De petits lustres étaient disposés entre les frises. Des petites lampes à huile éclairaient la rampe. La durée de combustion des chandelles de suif déterminait la longueur des actes de l'opéra. Lors des entractes, intervenaient alors d'habiles moucheurs qui forçaient l'admiration du public parisien. 
Machine pour suggérer le mouvement des vagues et représenter la mer.(dessin Sabattini)
Chaque machiniste tournait “à la broche“ un cylindre fait de bois et de toile azur et noire. Le sommet des vagues était parsemé de  paillettes en argent pour figurer l'écume. On alignait autant de cylindre qu'il était nécessaire et avec l'effet de perspective, les mouvements de la mer étaient parfaitement reproduit.
Machine pour nuage de Sabattini

Les dieux et les déesses pouvaient apparaître de plusieurs points de la scène.
• depuis le dessous de la scène : les divinités infernales ou maritimes surgissaient d'une série de trappes parsemant le plancher de la scène.
• depuis la coulisse : on tirait ou poussait des chariots
• depuis les cintres du théâtre : ce genre d'apparitions se faisait à l'aide d'apothéoses, gloires ou encore triomphes. Il s'agissait de nacelles suspendues par des fils reliés aux cintres. Un système complexe de treuil permettait de faire descendre un grand nombre de personnes. Les gloires étaient, dans la plupart des cas, habillées de nuages. Ainsi, on voit l'Amour descendre de son nuage et animer des statues d'or dans “Cadmus & hermione“ de Lully. Cependant, la décoration de la machine pouvait varier :  Pallas apparaît sur un hibou volant et Junon sur un paon. Dans Thésée, Médée apparaît dans un char tiré par des dragons volants. Dans Properpine, Mercure descend, le ciel s'ouvre et Jupiter paraît accompagné de divinités célestes. Mais c'est dans Isis que l'on recense le plus grand nombre de “Dei ex machina“ : Mercure, Hébé puis Jupiter et Junon qui descendaient trois fois chacun. Tous les mouvements dans les airs étaient envisageables. Le comédien était suspendu à un fil relié à un rail aérien pour le faire, sans nuage, descendre (on utilisait une sellette munie d'étriers). Lequel, arrivé sur le plancher de la scène, y pourra aussitôt marcher et danser. 

En huit mois, c’est une série de soixante-dix représentations qui eurent lieu. Perrin recueillit, pour sa part de bénéfices dans l’exploitation du jeune Opéra, la somme assez rondelette de 30000 livres.
L’entrée du parterre était mise au prix énorme d’un demi-louis d’or.
Il était défendu expressément à toute personne de quelque qualité et condition qu’elle fusse d’entrer gratis dans la nouvelle Académie. D’ou des désordres, suite à l’affluence qui se produisirent. Une ordonnance de police du 23 mai 1671, constatant des violences sur les personnes mêmes des soldats qui avaient la garde del’entrée de la salle, menaçait de la peine “des galères“ ceux qui se rendraient coupables de semblables méfaits.
Pomone fit littéralement courir tout Paris.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.130)

Prix des places en 1671 :
  • 1 place au balcon, sur le théâtre, 1 louis d’or de  11 livres 10 sous
  • 1 place aux premières loges comme à l’amphithéâtre  7 livres 4 sous
  • 1 place aux secondes loges  3 livres 12 sous
  • 1 place aux troisièmes loges comme au parterre debout   1 livre 16 sous
Le personnel de chant se composait de cinq hommes, quatre femmes, quinze choristes et treize symphonistes à l’orchestre 
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.142)

Qui voudra s’engage
sous les loix d’amour
Qui voudra s’engage
Et fasse la cour 
A ce Dieu volage
Qui voudra l’adore
Pour moi je l’abhorre
Le flot de la mer
est moins infidèle
La fleur en est belle
Mais le fruit amer
La fleur en est belle
Mais le fruit amer
Mais le fruit amer
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.148)

Quelques détails sur la mise en scène

Au second acte, qui représentait une “forêt de chênes“, vertumne, voulant se débarrasser des poursuites importunes de Beroé, employait de grands moyens : “Le ciel brille d’éclairs, le tonnerre gronde, et douze follets transformés en fantômes tombent du ciel dans un nuage enflammé. les follets descendus de la machine environnent Beroé, et, pour l’épouvanter, dansent à ses yeux une danse terrible. Trois fantômes disparaissent, quatre autres saisissent Beroé, l’emportent en l’air, et cinq autres restent sur le théâtre“.
Au troisième acte se produisait une scène burlesque : “Les follets placent Faune sur un gazon et mettent autour de luy trois flacons et trois bouteilles. lorsqu’il veut prendre une bouteille, elle s’enfuit et traverse le théâtre. Il s’attaque à la seconde bouteille qui fuit de même. Il veut saisir la troisième, elle s’élève en l’air où un follet la vient prendre. Il croit s’emparer de la quatrième, elle fond en terre et la cinquième après elle ; il prend la sixième et boit à même ; il trouve que c’est de l’eau et crache“
Au dernier acte, les noces de Vertumne et de Pomone sont célébrées dans un palais merveilleux : “Dix-huit follets transformés paraissent en différentes nues brillantes, six au fond du théâtre dans une grande nue, six sur le côté droit en trois petites nues diverses et autant sur la gauche, sous des formes de Dieux, de Muses et d’Amours, partie contants, partie jouants des instruments ; à la fin, les six petites nues se retirent et la grande vole du fond du théâtre sur le centre“
De nos jours encore, on ne fait pas plus dans les féeries que jouent nos grands théâtres les mieux machinés.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.156)


Sourdéac évince Perrin et le remplace par Gabriel Gilbert
Malheureusement pour Cambert, les évènements vinrent servir Lully à souhait ; c’est-à-dire que la désunion ne tarda pas à se mettre parmi les quatre associés à la direction de l’Opéra, et que la discorde fut bientôt chez eux à l’état permanent.

Perrin avait, pour son usage personnel et bien avant la création de son théâtre, emprunté au marquis de Sourdéac diverses sommes d’argent ; de plus celui-ci avait fait, en compagnie du financier Champeron, les fonds de la nouvelle entreprise, et, bien que cette entreprise eût brillamment réussi, il n’en restait pas moins à découvert d’une façon permanente.
Perrin refusa-t-il, pour se libérer en partie envers ses deux associés commanditaires, d’abandonner tout ou portion du bénéfice qu’il avait personnellement réalisé ? Il faut le croire, car tous les témoignages s’accordent à dire que Sourdéac, se prévalant des avances faites par lui pour payer les dettes de Perrin, s’empara du théâtre et l’en fit exclure.

Lully  se réjouit de ces évènements et s’empressa d’en profiter
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.158)


Perrin éloigné…, entre un nouveau personnage nommé Gabriel Gilbert, né  à paris vers 1610 et qui s’était fait connaître par un certain nombre d’ouvrages dramatiques. Gilbert avait été, dans sa jeunesse, secrétaire de la duchesse de Rohan, et était devenu, en 1657, à la suite de l’abdication de la reine Christine de Suède, secrétaire des commandements de cette princesse et son résident en France. “C’est un esprit délicat, duquel on a des odes, des petits poèmes et des pièces de théâtre pleines de bons vers, ce qui l’avait fait retenir par la reine de Suède pour secrétaire. Il n’a pas une petite opinion de lui“.
Gilbert mourut vers 1680.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.159)

Tel est le poète sur lequel Sourdéac avait jeté les yeux pour suppléer Perrin, et qu’il chargea d’écrire le livret du second ouvrage destiné à être représenté à l’Opéra, dont il avait pris définitivement la direction. Gilbert ne se fit pas prier et eut bientôt achevé le poème d’une pastorale en cinq actes, intitulée “Les Peines et les Plaisirs de l’Amour“ que Cambert s’empressa de mettre en musique.
Perrin avait dédié au roi le livret de Pomone ; son successeur adressa le sien à Colbert.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.164)

… Sourdéac, il est vrai, semble avoir pris à cette époque la conduite des affaires, quelques artistes nouveaux sont engagés, et Gilbert remplace Perrin comme librettiste ; mais, pour ce qui est des “Peines et des Plaisirs de l’Amour“, nous voyons que Cambert écrivit la musique de cet ouvrage, comme il avait fait pour Pomone, que Sourdéac continua de se charger des machines, que Beauchamps dirigea encore les danses, enfin que Beaumavielle, Cledière et tholet furent encore les principaux interprètes masculins de l’œuvre nouvelle.
C’est le 8 avril 1672 qu’elle fit son apparition.
Les historiens constatent, avec raison, que le livret de Gilbert était meilleur et beaucoup plus littéraire que celui de Perrin, et tous sont d’accord pour déclarer que la nouvelle partition de Cambert était supérieure à la précédente.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.173)

… Lully se mit en devoir d’interrompre le succès de la pièce “Les Peines et les Plaisirs de l’Amour“ en obtenant à son profit (par le crédit de la Montespan), de Louis XIV, un privilège qui révoquait celui de Perrin et par lequel il força Sourdéac et Cambert à cesser leur exploitation.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.183)


Perrin s'associe à Guichard et Sablières
Perrin avait été expulsé par le marquis de Sourdéac de l’administration de l’Opéra. Il est probable que cette expulsion venait d’avoir lieu au moment même où l’on représentait à Versailles “Les Amours de Diane et d’Endymon“ car Guichard en nous apprenant l’existence d’un second opéra, va nous faire connaître les démarches entamées auprès de lui par l’abbé (Perrin), et l’association qui s’ensuivit : “Le sieur abbé Perrin, dit-il, voyant que le roy avoir témoigné estre fort satisfait de cet opéra, crût s’en devoir assurer le privilège par une société avec le suppliant et le sieur Sablières, dont le traité fut fait le 15 décembre ensuivent (1671) ; et dans ce mesme temps Sa Majesté commanda encore au suppliant de prendre le soin d’un second opéra qui fut représenté à Saint-germain pendant les mois de janvier et février de l’année 1672, comme le tout est de notoriété publique.
… La conduite de Perrin ne paraît pas extraordinaire. Évincé par Sourdéac et Champeron de la direction de l’Opéra, bien que le privilège de ce théâtre fût à son nom, il devait évidemment user de tous les moyens pour essayer de ruiner leur exploitation ou pour tâcher de leur élever une concurrence*
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.188)

Henri Guichard avait occupé successivement plusieurs charges, de celles qu’on acquérait alors à prix d’argent : en avril 1657, on le voit commissionné “surintendant et commissaire général des vivres des camps et armées du roy“ ; au mois de décembre de la même année, il est nommé “intendant et ordonnateur quadriennal des bastimens du roy“, charge dont la suppression et le remboursement sont opérées en 1667 ; le 10 janvier 1668, il est fait conseiller d’État ; le 17 du même mois, il épouse demoiselle Jeanne le Vau, fille de défunt M. le Vau, secrétaire du roy et premier architecte de Sa Majesté, laquelle lui apporte 60000 livres en mariage. Enfin le 21 avril 1670, il devient gentilhomme ordinaire de Monsieur, ce qui ne l’empêche pas d’être nommé, le 19 septembre 1673, intendant général des bâtiments et jardins de Monsieur, frère du roi.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.184)

* D’ailleurs Sourdéac et Champeron ne paraissaient pas absolument cousus de scrupule. Devenus comédiens du roi sans jouer la comédie (par le fait des conditions de la cession) ne vécurent pas en bonne intelligence avec leurs associés. La vérité, selon nous, est que ces deux hommes, surtout le premier, ont voulu jouer, à l’égard des comédiens, le rôle d’évincer, comme avec Perrin en 1672, comme peut-être Sourdéac l’avait tenté avec les comédiens du Marais, en 1661. Il faut que la mauvaise foi de Sourdéac, dans sa querelle avec les comédiens de Guénégaud, ait été bien évidente pour que, malgré son grand nom et l’humble conditions de ses adversaires, les tribunaux du temps n’aient cessé de lui donner tort.
Sourdéac et Champeron firent cession en 1674 aux comédiens successeurs de Molière, de la salle Guénégaud.
Au reste, toute cette affaire, est d’une obscurité prodigieuse, et donna lieu à une foule de procès : procès entre Sourdéac et Perrin, entre Sourdéac et Sablières, entre Lully et Guichard, que sais-je ?
Dans la notice qu’il a consacré à Quinault en tête de l’édition qu’il a faite des œuvres de ce poète (1824), l’imprimeur Crapelet le rappelle en ces termes : “…Le marquis de Sourdéac, se prévalant de ses avances, soutint qu’il étoit associé de Perrin, qui, de son côté, avoir cédé en toute propriété son privilège à un sieur de Sablières, intendant de la musique de Monsieur, duc d’Orléans, et à Henri Guichard, gentilhomme du même duc, qui avouint fait également des avances à perrin. De là une multitude de procès qui achevèrent de ruiner Perrin, Sourdéac et l’entreprise“.

Les Peines et les Plaisirs de l’Amour fut monté et présentée au public le 8 février 1672. Jusqu’là, Sourdéac semblait peu s’inquiéter des doléances de Perrin, et, Normand et processif, paraissait vouloir donner une nouvelle force au vieil adage des Normands processifs : Possession vaut titre.
Perrin, cependant, prétendait ne pas se laisser berner plus que de raison. Tandis qu’il agissait ouvertement contre son adversaire pour rentrer en possession de ce qu’il considérait justement comme son bien, Lully, toujours prêt à jouer le rôle du troisième larron de la fable, s’agitait sourdement, dans l’espoir de supplanter tout le monde. Perrin eut connaissance de ses menées, et finit par s’aboucher avec lui. Tous les témoignages confirment que, ne pouvant venir à bout de la situation, le premier finit par céder son privilège au second, moyennant une somme d’argent plus ou moins forte. C’est alors que Louis XIV, qui, de toutes façons, eût probablement toujours fini par céder aux instances de son favori, lequel était aussi celui de Mme de Montespan, lui accorda (à Lully) des lettres patentes révoquant celles précédemment délivrées à Perrin, et lui donnant permission d’établir, non plus une “Académie des Opéras“ mais une “Académie royale de musique“.

Sourdéac dut faire la grimace lorsqu’il apprit la délivrance de ces lettres patentes. Il tint bon cependant, et prétendit, avec Champeron, s’opposer à leur enregistrement. Guichard et Sablières en firent autant de leur côté, se fondant sur le traité qu’ils avaient passé avec Perrin, lequel joua, dans toutes ces affaires, un jeu double et peu honorable.

Requête de Sourdéac et Champeron à propos des privilèges accordés à Lully par le roi Louis XIV

lettre de Colbert à M. de Harlay (procureur au Parlement de Paris)

Versailles, 24 mars 1672

Le roy ayant accordé au sieur Lully, intendant de la musique de sa chambre, le privilège des opéras en musique que Sa Majesté avoir donné auparavant au sieur Perrin, ledit sieur Lully a représenté à Sa Majesté que les marquis de Sourdéac et de Champeron, et les sieurs de Sablières et Guichard se sont opposés à l’enregistrement de ses lettres, quoique les sieurs de Sourdéac et de Champeron n’ayant aucun droit dudit Perrin et que les autres soient porteurs d’un écrit fait entre Perrin et eux, qui ne leur donne aucune part en ce privilège et est mesme détruit par une contre-lettre*.
Le roy estant persuadé que si le sieur Lully veille à la conduite de cette Académie, Sa Majesté et le public en pourront avoir de la satisfaction, m’a ordonné de vous faire sçavoir qu’il souhaite que cette affaire soit jugée le plus tost qu’il sera possible et que vous luy donniez des conclusions favorables, autant que la justice vous le pourra permettre**.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.196)

* On voit que dans tout ceci, Sourdéac et Champeron sont seuls en jeu contre Perrin, et qu’il n’est nullement question de Cambert. Celui-ci avait-il modifié sa situation à l’Opéra, et s’était-il effacé comme co-directeur pour ne pas être obligé de se tourner, avec les deux autres, contre son vieil ami ? Cela paraît probable. Toujours est-il qu’on ne voit pas que Perrin ait rien à lui reprocher en toute cette affaire.
** Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés par Pierre Clément - 1868 (t. V p. 322-323)

On voit que Lully était pressé, et qu’il mettait à profit les bonnes dispositions de son royal protecteur.

… D’un côté, un financier puissant, Champeron, et un grand seigneur d’ancienne noblesse, Sourdéac ; de l’autre, deux hommes, tous deux vient nés, dont l’un, riche, filleul d’un prince de sang, ancien conseiller d’État, occupait l’une des charges importantes de la maison de monsieur, frère du roi, et dont le second jouissait aussi d’une situation considérable auprès de ce prince. Lully avait su si bien se mettre dans les bonnes grâces du roi, que celui-ci le préférait même à Molière. Et cela est d’autant plus remarquable que la faveur dont Lully était l’objet en cette circonstance scandalisait jusqu’aux gens de cour.

Ainsi dans cette affaire, tout le monde n’était pas du côté de Lully, et Colbert lui-même n’avait agi en sa faveur que par contrainte.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.198)


Néammoins, Sourdéac faisait la sourde oreille et continuait de donner, dans la salle de la rue Guénégaud (Jeu de paume de la Bouteille), les représentations des “Peines et Plaisirs de l’Amour“.
La procédure engagée par Colbert auprès du Procureur du Harlay, se faisant attendre, six jours après, le roi crut utile de donner de sa personne, et prit la peine d’écrire lui-même à M. de la Reynie, lieutenant de police, pour ordonner la fermeture du théâtre de Sourdéac.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.200)

A Versailles le 30 mars 1672

Monsieur de la Reynie,
Ayant révoqué le privilège des opéra, que j’avois ci-devant accordé au sieur Perrin, je vous écris cette lettre, pour .vous dire que mon intention est qu’à commencer du premier jour du mois d’avril prochain, vous donniez les ordres nécessaires pour faire cesser les représentations que l’on a continué de faire desdits opéra, en vertu de ce privilège. A quoi me promettant que vous satisferez bien ponctuellement, je prie Dieu qu’il vous ait, M. de la Reynie, en sa saint garde.

signé : Louis
et plus bas : Colbert

On voit que l’affaire marchait à souhait, et tout au gré du Florentin (Lully). Sans souci de la gloire que le génie de Cambert, constaté par trois succès, pouvait rejaillir sur son pays, le roi de France et son premier ministre obligeaient un grand artiste national à s’exiler, et, à son détriment, prenaient fait et cause pour un étranger
Plan de Turgot.
Derrière le collège des quatre nations, et entre les rues Mazarine (anciennement des Fossés de Nesle) et de Seine,
au débouché de la rue Guénégaud, se situait la salle du jeu de Paume à l'enseigne de la Bouteille
louée en 1670 par Perrin, Cambert, Sourdéac et Champeron.
Cette salle fut louée également par La Grange de la troupe du Marais (après la mort de Molière en 1673), après que celle-ci fut chassée de la salle du palais Royal par Lully.

Trois troupes se disputent l'octroi de privilèges
L’affaire qui tenait tant d’intérêts en suspens, ceux de Lully d’une part, de l’autre ceux de Cambert, de Sourdéac et de Champeron, en troisième lieu ceux de Perrin, de Guichard et de Sablières, tout, naturellement, vint se briser contre la volonté du monarque et la puissance de son protégé, malgré la requête que Sourdéac et Champeron adressèrent le 30 mai 1672 au membres du Parlement.

A Nosseigneurs du Parlement.

Supplient humblement Alexandre de Rieux, chevalier, marquis de Sourdéac, et Laurens de Bersac de Fondant, escuyer, sieur de Champerondisants qu’il a plue au Roy par ses lettres patentes du vingt huictiesme juin 1669 leur accorder soubz le nom de Pierre Perrin permission d’establir en cette ville de Paris et autres du royaume des académies pour y faire des opéras et représentations des pièces de théâtre en musique et en vers françois, pareilles à celles d’Italie, et de prendre du publia telles sommes qu’ils adviseroient pir les desdomager des grands frais qu’il conviendra faire pour les théastres, machines, décorations, habits et autres choses nécessaires, avec deffences à toutes personnes de faire de pareilles représentations, sans leur consentement et permission, pendant les douze années portées par lesdites lettres, soubz les peynes y contenües ; auquel establissement les supplians ayants travaillé sans discontinuation depuis le dit temps, à grands frais, et couru risque plusieurs fois de perdre des sommes considérables qu’ils y ont employées, le sieur de Lully voyant qu’ils avoient réussy avec applaudissement et satisfaction du publiq, pour s’approprier ce qui lui appartient et les en frustrer aurait supposé à Sa Majesté que n’ayans peu réussir audit establishment et soubz ce prétexte se seroit fait accorder la mesme permission d’establir des oppera par lettres du mois de mars 1672 avec révocation  de celles accordées aux supplians, lesquels an ayants eu admis et que le dit sr de Lully en vouloit poursuivre l’enregistrement ilz y ont formé opposition sur laquelle les parties ont esté appointées en droit, ce qui a fait une instance par l’évènement de laquelle les supplians espèrent que le dit sieur de Lully sera débouté de l’effet des lettres par luy obtenues, et que celles accordées aux supplians seront exécutées, à l’effet de quoy ilz ont esté conseillez d’en requérir l’enregistrement.
Ce considéré, Nosseigneurs, il vous plaise procédant au jugement de la dite instance déboutant le dit sr Lully de l’enregistrement des lettres par luy obtenues, ordonner que les lettres obtenues par les supplians soubz le nom dudit Perrin le vingt huictiesme juin 1669 seront enregistrées pour estre exécutées selon leur forme et teneur, condemner le dit Lully en tous leurs domages et interrestz et aux despens de la dite instance, et vous ferés bien.

signé : Alexandre de Rieux et Deffondantet Du Bois, procureur.

et plus bas est escrit : et jugeant soit signifié le XXXe may 1672 et signifié ledit jour.*

(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.205)
* Manuscrits de la Bibliothèque nationale, Mélanges, 36, fol. 204

Supplique de Lully auprès de Colbert
Lully adresse, quatre jours après, une supplique à Colbert.

Monseigneur,
Depuis que j’ai eu l’honneur de vous entretenir sur l’Académie royalle de musique l’on me fait journellement  de nouvelles chicannes, dont je prends la hardiesse de vous envoyer la dernière, par laquelle vous conoistrez, monseigneur, qu’ils exposent faux en tout, et en premier lieu quand ils disent qu’ils ont obtenu les lettres patentes par le Roy soubs le nom de Perrin ; et en second lieu en exposant que j’ay surpris le Roy, eux qui ont présenté plusieurs placets à Sa majesté et qui sçavoient mieux que moy ses intentions? Vous sçavez, Monseigneur, que je n’ay pris d’autre route dans cette affaire que celle que vous m’avez prescritte, et que dans le commencement je croiois qu’ils prendroient la mesme.
Cependant ils n’ont eu garde de se soubmettre à vostre jugement, sçachant  bien que vous ne souffririez aucune imposture de celles qu’ils supposent et qu’ils prétendent imposer au Parlement, et dont vous avez la connoissance plus que personne au monde.
Vous me fistes la grâce de me faire espérer un mot en ma faveur à Monsieur Du Coudray Geniers, mon rapporteur. Si j’osois vous supplier, Monseigneur, par mesme moyen de le détromper de tout ce qu’ils exposent dans leur requeste, vous me fairiez la plus grande charité du monde, esant enfin dans la dernière désolation de me voir condamné à combattre contre les fausserez, pendant que je devrois travailler à ce que le Roy m’a commandé, et que vous me faites la grâce d’honorer de votre protection.
J’espère, Monseigneur, que par votre bonté le Roy m’accordera la salle du louvre, dans laquelle je ferois inccessement travailler, non obstant les chicannes du procès et aurois l’honneur de vous voir avec Monsieur Quinault pour vous monstrer quelque projet pour le retour du Roy*, que je ne doute point qu’il ne réussisse lors qu’il aura vostre approbation.
Je suis avec tout le respect que je dois,
Monseigneur,
Vostre très humble et très obéissant serviteur,

Jean-baptiste Lully**

De Paris ce 3e Juin 1672

* Louis XIV était alors en Hollande.
** Cette lettre n’est pas écrite par Lully, mais seulement signée. (Mélanges, 36, fol. 206.)

Il va sans dire que Lully fut rapidement vainqueur. En dépit de toutes les dispositions légalement faites à l’enregistrement de ses lettres patentes, cet enregistrement fut opéré, comme on pouvait s’y attendre, à la suite et en vertu d’un arrêt du Parlement de Paris en date du 27 juin 1672
Guichard lui-même nous l’apprend en ces termes, dans une des pièces imprimées de son procès de 1676, en nous donnant des détails intéressants et en revenant sur les deux opéras qu’il avait faits avec Sablières :
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.209)

Henri Guichard et Jean-Baptiste Lully ont un différend
Guichard voulait s’occuper de théâtre lorsqu’il avait essayé d’acheter à Perrin le privilège de l’Opéra, que Lully s’était fait définitivement attribuer. N’ayant pu réussir par ce moyen, il en employa un autre, et, flattant la manie… académique du roi, il obtint de lui un nouveau privilège, celui d’une Académie royale des spectacles. Il s’agissait de plusieurs salles populaires à élever dans Paris pour y donner des spectacles qui semblaient devoir se rapprocher un peu des jeux de l’antiquité païenne, avec obligation  de donner chaque année un certain nombre de représentations gratuites.

“ Louis par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre,  à tous ceux qui ces présentes lettre verront, salut.

Les spectacles publics ayant toujours faits les divertissements les plus ordinaires des peuples et pouvant servir à leur félicité aussi bien que le repos et l’abondance, Nous ne nous contentons pas de veiller à la tranquillité de nos sujets par nos travaux et nos soins continuels, Nous voulons bien y contribuer encore par des divertissements publics. C’est pourquoi nous avons agréé la très-humble supplication qui nous a esté faite par notre cher et bien-aimé Henri Guichard, intendant des bastimens et jardins de notre très-cher et très-amé frère unique, le duc d’Orléans, de luy permettre de faire construire des cirques et des amphithéâtres pour y faire des carrousels, des tournois, des courses, des jouxtes, des luttes, des combats d’animaux, des illuminations, des feux d’artifices et généralement tout ce qui peut imiter les anciens jeux des Grecs et des Romains.
A ces causes, estant informé de l’intelligence et grande connoissance que le sieur Guichard s’est acquises dans la conduite de ces actions publiques, Nous luy permettons d’establir en notre bonne ville de Paris, des cirques et des amphithéâtres pour y faire lesdites représentations, sous le titre de l’Académie royale de spectacles pour en jouir par lui, ses hoirs et ayants cause, avec pouvoir d’associer avec luy qui bon luy semblera pour l’establishment de la dite académie. Et pour le dédommager des grans frais qu’il luy conviendra de faire, Nous luy permettons de prendre telle somme qu’il jugera à propos, et d’establir des gardes et autres gens nécessaires aux portes des lieux où se feront lesdites représentations. faisant très-expresses inhibitions et défenses à toutes personnes de quelque qualité qu’elles soient, mesmes aux officiers de notre maison, d’y entrer sans payer ; comme aussi de faire faire lesdites représentations et spectacles, en quelque manière que ce puisse estre, sans la permission par écrit dudit sieur Guichard, à peine de 10.000 livres d’amende et de confiscation des amphithéâtres, décorations et autres choses, dont un tiers sera applicable à Nous, un tiers à l’hospital général, et l’autre tiers au sieur Guichard ; à la réserve néanmoins des illuminations et feux d’artifice, dont l’usage sera libre et permis comme auparavant nos présentes lettres, et à la charge qu’il ne sera chanté aucune pièce de musique auxdites représentations et que lesdits spectacles seront donnés gratis à notre peuple de la ville de paris… fois l’année, révoquant et annulant par ces présentes toutes permissions et privilèges ci-devant donnés.“

Ce privilège fut accordé au mois d’août 1674, au retour du roi de la campagne de Franche-Comté.

Lully appréhende ce nouveau privilège et craint qu’il ne diminuât les profits de son Opéra. Il met en place un stratagème pour se venger de Guichard en l’accusant de tentative d’empoisonnement à son égard (en mélangeant de l’arsenic avec le tabac qui lui était destiné) et ainsi essayer de le discréditer aux yeux de la Cour. Il va recruter des faux-témoins (Marie Aubry, son frère Sébastien Aubry, du Creux et Huguenet) et par fausse accusation auprès de la cour essayèrent de perdre le sieur Guichard par une requête servant de factum. 
Tout cela par rivalité, par convoitises, manœuvre louches, diffamations parce que Guichard avait eu l’audace de se positionner comme un concurrent.

Cette affaire ne dura pas moins que trois années, fut scandaleuse et fit grand bruit dans Paris. Lully réussit par ses relations à faire emprisonner préventivement Guichard et à le maintenir quinze mois sous les verrous.

Même Boileau s’est fendu de quelques vers pour dénoncer la bassesse de Lully :
En vain par sa grimace un bouffon odieux
A table nous fait rire et divertit nos yeux :
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le tête-à-tête, ôtez-lui son théâtre,
Ce n’est plus qu’un cœur bas, un coquin ténébreux :
Son visage essuyé n’a plus rien que d’affreux.


Même La Fontaine, lui aussi, a déchargé un jour sa bile contre Lully en écrivant sa satire intitulée “le Florentin“

Guichard dans son réquisitoire, (Réponse du sieur Guichard aux libelles diffamatoires de jean-Baptiste Lully et Sébastien Aubry) va à mot couvert va jusqu’à dire de Lully : “qu’il ne veut pas souiller les oreilles des juges par le récit d’une longue suite d’ordures et d’infamies semblables à celles qui ont autrefois attiré le feu du ciel sur des villes entières, et qui auraient fait infailliblement chasser ce libertin de la Cour peu de temps après qu’il eut commencé d’y paraître, si l’on n’avait crû trouver un jour dans son repentir de quoi justifier la grâce qu’on lui fit en faveur de la musique.“
puis “Cet homme qui n’est pétri que d’ordure et de boue, regarde tout le monde du même œil dont il se voit lui-même…“

“…de même ce libertin de profession, dont la vue qui s’est affaiblie par l’excès des débauches, ne porte pas plus loin que luy, confond tout le monde dans la crapule et le libertinage qui luy sont particuliers“.

“Dans le Vie de Lully, Henri Prunières écarte les accusations habituelles sur les mœurs du Florentin. Il est difficile pourtant de n’y pas croire. En 1685, Louis XIV fut obligé d’en faire des remontrances à son musicien (journal de Dangeau, au 16 janvier 1685) et l’on sait le nom de son favori à cette date, le petit Brunet, qui fut envoyé à Saint-lazare pour y faire pénitence de son péché.“ 
(histoire de la littérature française au XVIIe siècle -par Antoine Adam)
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.215)

Lully finit par avoir gain de cause en ce sens qu’il obtint la révocation de ses lettres patentes seul but réel qu’il poursuivait. Le 22 mars 1676, Colbert écrivit au procureur général que le Roi voulait que cette affaire fut bientôt terminée. Deux ans plus tard, le 14 juin 1678, il lui défendit de faire enregistrer les lettres patentes accordées à Guichard en 1674

Lully fut simplement condamné à voir brûler publiquement en Grève, par la main du bourreau, les factums qu’il avait publiés contre Guichard.
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.235)

Il ne restait donc plus que Sourdéac. ce dernier mourut en 1695, huit ans après Lully, et voici comment le Mercure annonçait ce fait :
“Messire Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac, est mort le 7 de ce mois (de mai). Il estoit fils de Guy de Rieux, marquis de Sourdéac, premier écuyer de la reine Marie de Médicis, et de Louise de Vieuxpont, dame de Neufbourg, dame d’honneur de la même reine, et petit-fils de René de Rieux, seigneur de Sourdéac, marquis d’Oixant, chevalier des ordres du Roy, lieutenant général en Bretagne, gouverneur de Brest, et de suzanne de Saint-Melaine. La maison de Rieux est une des plus illustres de cette province, et a donné des maréchaux de France, des evesques, et des premiers officiers dans l’épée. M. le marquis de Sourdéac avait épousé Hélène de Clère, dame d’un fort grand mérite, qui s’est toujours distinguée par son esprit et par sa vertu, et dont il laisse un fils vivant à présent marquis de Sourdéac, et quatre filles, dont il y en a deux religieuses, l’une au calvaire du faubourg Saint-Germain, et l’autre aux Filles du saint-Sacrement du même faubourg…“

Guichard partira pour l’Espagne à la suite de son procès, avec le projet de créer un théâtre de ce genre à Madrid. Il mourra dans cette ville en 1680 (1703).
(Les vrais créateurs de l’Opéra français Perrin et Cambert - par Arthur Pougin - p.257)


L'arrêt d'audience du parlement de paris du 11 août 1687
Cet arrêt lève un coin du voile sur les turpitudes du couple Alexandre de Rieux et son épouse Hèlène de Clère face à leurs nombreux créanciers.


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