La mouche du 8 juillet 1706
Sur une page du registre des baptêmes de l’année 1706 à Glénac, rien de particulier quand on regarde les textes transcrits par jan BROHAN le curé ou claude JAGU le recteur…
Cependant au milieu de la page, on remarque une tâche noire sur un acte de baptême. Mais en y regardant de plus près, ce n’est pas n’importe quelle tâche ou plutôt, quelques indices laissent penser que ce n’est pas l’encre renversé d’un encrier, ou que ce n’est pas une goutte laissée par une plume d’oie tenue par un “scribe“ inattentif…
mouche écrasée et confinée depuis 314 ans sur la page 28 du registre de baptême de 1706 de la paroisse de Glenac |
Il y a eu là sur le folio 28 un “crash“. Imaginons la scène
La page droite du folio 29 s’est brusquement et en un éclair refermée sur celle du folio 28, piégeant au passage cet insecte volant que nous appelons communément “une mouche“.
Les deux pages agissant à la manière des ces plantes carnassières qui captent et emprisonnent les insectes imprudents attirés par leur suc.
Le “noir“ de cette tache qui en résulte est perçu comme à la fois profond, épais, gras, massif, un peu granuleux, mais est également prolongé par les quatre pattes de cette mouche et que l’on devine “velues“. Pour une fois et ce n’est pas courant, ces “pattes de mouche“ sont facilement faciles à déchiffrer. Deux ailes, dont on discerne les nervures, toutes en transparence, finesse et légèreté, s’amalgament à cette tâche.
L’insecte a été piégé comme ceux que l’on retrouve emprisonnée dans l’ambre, ou ceux enfouis dans l’épaisseur de la gangue et remise au jour entre les éclats d’une pierre délitée.
La trace est là, entre éphémère et éternelle.
314 années se sont écoulées depuis ce “crash“ de juillet 1707. Soit un petit moment d’éternité que le geste rageur de Jan BROHAN, curé d’office, a involontairement offert à cette mouche. À moins que ce ne soit le geste de Claude JAGU, le recteur, qui en recopiant le double de l’acte dans le deuxième rolle, s’est laissé emporté avec un certain agacement en mettant fin à l’envol et au bourdonnement de l’insecte, mais par là même le faisant passer à la postérité.
Mais de qui était-ce le baptême déjà ?
acte de baptême de Yvonne Julienne Gerard
fille de Raoul Gerard et Valentine Le Doyen
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Baptême de Yvonne Julienne GÉRARD, le 8 juillet 1706
registre de 1706 contenant 10 rolles de papier
baptême d’une fille par Claude JAGU, recteur,
du mariage de deffunct N.H. Raoul GERARD
vivant procureur fiscal de la baronnie de La Gacilly
et demoiselle Valentine LE DOYEN, demeurant dans le bourg de Glénac
on lui a donné le nom d’Yvonne Julienne GERARD
a esté parrain, maistre Julien DESPRÉS de Bains
et marraine Yvonne JOUBAUX du bourg de Glenac
qui signent excepté la dite JOUBEAU qui a déclaré ne savoir signer.
Yvonne Julienne GÉRARD est la 8e et dernière des 8 enfants de Raoul GÉRARD. Elle meurt 13 mois après le 10/08/1707.
Sa mère, Valentine Le Doyen est la fille de François Le Doyen, notaire.
C'est ce dernier qui a fait fabriquer la grande cloche de Glénac appelée “St-François“, dont le baptême a eu lieu le 2 janvier 1662. Son fils, Alexandre Hercule LE DOYEN, est parrain de cette cloche. Françoise de PLUMAUGAT en est la marraine.
Le climat en Bretagne en 1706-1709
dans le centre de la France il n’y a pas eu de pluie du 25 mars 1707 au 1er novembre 1707.
En juillet canicule entre Seine et Loire, dans l’Ouest et le Nord de la France.
En octobre inondations entre Seine et loire.
Charles de CLAIRAMBAULT (dans une lettre envoyé à jérôme de PONTCHARTRAIN) en 1710 à propos du port de Lorient
(Lorient sous Louis XIV - H.-F. Buffet p. 318)
Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest 1937
“il en meurt tant, disait-il, de ses protégés en 1707, qu’il n’y a presque plus de place dans le cimetière où on les puisse enterrer“
“ il y a quatre jours, Monseigneur, disait-il par exemple, qu’on trouva ici sur la croix du cimetière de la paroisse un insecte dont j’ai l’honneur de vous envoyer le dessein. C’est une espèce de grosse mouche que je crois qu’on peut appeler locuste.Comme elle a sur la teste une figure qui ressemble beaucoup à une teste de mort, cela est regardé en ces quartiers comme chose rare et qui a épouvanté beaucoup de bonnes femmes, qui, voyant que cet insecte a ainsi trouvé dans ce cimetière dans un temps auquel ils sont accablés de misère, ils regardent cela comme présage d’une grande mortalité.
Si vous pouviez, Monseigneur, faire payer aux pauvres ouvriers de ce port quelques mois de 1710, ce soulagement sauverait la vie à plusieurs de ces pauvres gens dont la plupart ne meurent que d’inanition.“
Et dans la paroisse de Glenac ces années-là ?
Les canicules et autres calamités auront un fort impact et perturberont le cours ordinaire de la vie des paroissiens.
La mouche, écrasée entre deux pages du registre de 1706, est un des symptômes des nombreux cas de décès. L'explication est la suivante : L'église paroissiale de Glénac est située sur le bord du marais (construite à l'emplacement du cimetière actuel). En juillet, après les fenaisons, les prés de marais servent de pâture au bétail. Les déjections animales sont un festin pour ces mouches qui la chaleur aidant, pullulent et envahissent les étables, les écuries, les fumiers, les maisons et métairies et aussi l'église dans laquelle se trouvaient les registres de baptêmes, mariages et sépultures.
Les mouches, vecteurs de maladies... Le marais, vecteur de fièvres... Le médecin, éloigné (le plus proche est à La Gacilly)... L'Hygiène sommaire... Maladies et épidémies ont beau jeu pour se développer. Les conditions sont réunies pour accélérer l'issue fatale
et les sacrements d'extrême-onction prodigués aux âmes des paroissiens ne suffisent pas à éloigner le spectre de la mort.
tableau des baptêmes, mariages, sépultures entre 1706 et 1710 dans la paroisse de Glénac |
En 1706, les décès survenus sont conséquents 31 alors qu'ils sont de 20 à 27 pour les années de 1708 à 1710.
En 1707, un accroissement des sépultures avec un pic de 53 décès, pour la plupart d'entre eux survenus entre mai et septembre. Cela correspond à la période de canicule évoquée
dans l'Ouest de la France.
Le fameux hiver 1709-1710 laissera des traces dans les registres de BMS, notamment dans ceux de St-Vincent sur Oust.
À la fin du registre, pierre ROBERT recteur de la paroisse, écrit ceci :
“ Cette année 1709 l'hiver a été de mémoire d'homme le plus le plus rude pour les neiges et glaces. Le 22 janvier, la procession de Bains venant ici solennellement la fete de notre glorieux patron passa par sur la glace un peu plus haut que le passage de Bougro et les blés qui n'estoient couvert de neige périrent tous surtout sur le haut des seillons il en fallu refaire beaucoup aussi bien que des premiers froments.
Cette rigueur hivernale dura environ cinq semaines Le temps se radoucissant le dix de mars le froid recommença un samedi entre autre il fit un froid extraordinaire Les arbres gelèrent pendant tous ces froids fendaient les lauriers autres de cet nature périrent châtaigniers noiers, houx et les landes n'en furent pas exempté.
Les manuscrits de Paris portaient qu'il mourut dans cette ville plus de quatre mille hommes de froid il gela sur la rivière de la Loire du vin dans les tonneaux pour plus de quatre millions et autres marchandises qui périrent Le bled valait à Rhedon le jeudi ab... 28e mars trois livres quinze sous le demé ou boisseau.
Les pluies qui continuent ne donnent pas espérance de bonne récolte le pauvre peuple patit beaucoup et je crois si Dieu n'a miséricorde pour son peuple qu'il en perdra bien par le fain au moi de mai Le bled noir 3... 5 Lavoine 2...15 Le mil 4... 5 le demé
La resine valoit jusqua six fois la .... les onzième e avril fut constitué prisonnier Julien Benoist des brulis fabrique en charge pour n'avoir pas payé les foüages et tailles.
Le 1er mai fut ordonné par arrest du parlement que chaque paroisse nourriroit ses pauvres, on fit donner au mois de juin le nombre de grains que pouvaient avoir les particuliers nulles exceptie
...A l'occasion de l'hiver dont je parlé je vous affirme ! sur un témoignage authentique que plusieurs barriques de vin blanc gelèrent de telle sorte que les barriques rompirent et le vin estoit glacé de telle sorte qu'il en estoit en un globe on le fit renfermer dans d'autres tonneaux il se dégela après les rigueurs du froid il estoit fort bon mais un peu rouxi.“
ROBERT recteur
Quelle espèce de mouche ?
Mouche domestique, mouche noire, mouche des morts, mouche caniculaire, mouche pluvieuse, mouche des celliers, mouche du seigle, mouche de fumier, etc...
Dans une ouvrage encyclopédique de 1811, à propos des insectes, l'auteur répertorie 216 espèces de mouches.
Voici ce qu'il écrit sur la mouche carnivore
“du double de grosseur de la mouche domestique. Elle a le corselet noir, ainsi que la tête, excepté le devant, qui est d’un jaune-ardent. L’abdomen seul est d’un bleu-brillant.
On la voit se poser sur les viande fraîches exposées dans les lieux chauds, et y déposer ses œufs : d’où naissent des larves nombreuses qui consent bientôt la chair lorsqu’elle se corrompt. La crème lui convient aussi. Elle se trouve en Amérique comme en Europe; et si abondante qu’on en a vu, dit-on, consommer le cadavre entier d’un cheval aussi promptement qu’un lion.“
le vieux bourg de Glenac le clocher est celui de l'église St-Michel construite en 1846 et qui remplaçait l'ancienne église qui, elle était située dans le cimetière actuel. |
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